AFEST : deux grandes entreprises expliquent comment passer à l’échelle !
Lors de l’atelier WAP d’apprentissage entre pairs du 30 mai dernier sur le thème « former en situation de travail », près de 20 expériences réussies ont été partagées entre pairs de la communauté WAP Learning & Director. Dans cet article nous mettons en lumière les expériences plébiscitées par la communauté, d’Agnès Letorey Head of Talent & Development EMEA d’AKZONOBEL et de Thomas Baron. Ils nous racontent comment ils ont mis en place des AFEST ambitieuses et à grande échelle. Avec la collaboration d’Emmanuel Khan learning director de DAVIDOFF sur la partie éditoriale et l’avis de notre expert AFEST, Henri Occre de C-Campus !
La formation en situation de travail (AFEST) est un levier puissant pour le développement des compétences au sein des grandes entreprises.
Basé sur les retours d'expériences de Thomas Baron - Responsable L&D au sein d'un laboratoire pharmaceutique – et d'Agnès Letorey - Head of Talent & Development EMEA dans le secteur de la chimie, ce guide vous offre des conseils pratiques pour intégrer efficacement l'apprentissage et la formation en situation de travail dans votre organisation.
Synthèse de l'expérience de Thomas Baron : Thomas Baron a mis en œuvre un projet AFEST avec une approche de formation de pair à pair qui s’est déroulée sur environ deux ans et demi entre le kick-off et son déploiement opérationnel.
Synthèse de l'expérience d'Agnès Letorey : Mise en place d’un programme de formation à distance pour les fonctions support, en utilisant le modèle 70-20-10.
Q1 : Quel était le contexte et surtout quelle était la problématique à laquelle vous étiez confronté(e) ?
Thomas Baron : "En tant que responsable L&D au sein de laboratoires pharmaceutiques depuis de nombreuses années, l'une de mes plus grandes difficultés consiste à sortir les commerciaux du terrain pour les former. Travaillant dans un secteur très réglementé, ces derniers sont déjà énormément formés sur leurs produits et les formations obligatoires (environ 35 heures par an de formation obligatoire par commercial). Face à ce constat, il reste peu de place pour organiser de véritables formations « métier » ou de montée en compétences.
Le résultat est que personne n'est satisfait : les commerciaux ont l’impression de ne jamais être développé et s’inquiètent pour leur employabilité, leurs managers sont trop pris par l’administratif et n’arrivent pas à accompagner leurs équipes au-delà d’un coaching de priorisation, leurs directeurs des ventes trouvent que leurs commerciaux manquent d’assertivité ou de savoir-faire et s’inquiètent pour leurs chiffres, et tout le monde trouve que la formation ne fait pas son boulot. Bien sûr, cette image est un peu caricaturale, mais elle vous parlera sûrement…
La solution proposée pour contourner cette problématique a été de mettre en place des formations en situation de travail (AFEST) animées par et pour les commerciaux mais aussi de la formation de pair à pair."
Agnès Letorey : "La compétence « business partnering » est identifiée comme essentielle pour tous les postes dans les fonctions support au sein de notre entreprise. Nous identifions le besoin d’un programme pour monter en compétences les collaborateurs des fonctions supports sur comment établir une relation de confiance avec ses parties prenantes, connaître son interlocuteur, structurer un meeting, analyser son problème/besoin, comment influencer sans autorité et comment utiliser le storytelling pour au final l’aider dans sa prise de décisions et atteinte d’objectifs.
Dans mon périmètre EMEA, nous avons environ 2000 personnes dans les fonctions support ; la zone géographique est très éclatée ; les déplacements de ces collaborateurs pour assister à une formation en présentiel ne sont pas envisagés en raison des coûts de voyages et hébergement ; ce programme est animé par des formateurs (internes) mais il n’y en a pas dans tous les pays.
Nous avons fait appel à un consultant extérieur Korn Ferry pour nous aider dans notre réflexion et construire le programme."
L’avis d’Henri Occre de C-Campus : Le principe de se former dans le travail, par le travail et au travail (AFEST) concerne tous types de publics et de secteurs professionnels. Comme le montrent ces deux témoignages, pour une AFEST ambitieuse, il est primordial : 1) d’avoir clarifié l’enjeu la justifiant 2) délimité le public en bénéficiant 3) priorisé les activités emblématiques de travail en constituant l’objet 4) identifié des bénéfices potentiels (ROI/ROE)
Q2 : Quelles sont les principales étapes pour mettre en place un programme de formation en situation de travail ?
Avec l'expérimentation d'Agnès Letorey, il s'agit de de suivre le modèle 70-20-10 (1) sur 8 semaines :
10 % de formation formelle : Cinq classes virtuelles animées par un formateur, avec des groupes de 16 participants maximum. Dans chaque session : 50% théorie, 50% de travail en petits groupes et en plénière pour partager les meilleures pratiques
20 % de coaching entre pairs : Les participants sont mis en binôme pour des séances de coaching et d'échange entre les sessions. Les groupes et les binômes sont formés avec des collaborateurs de métiers différents et fonctions différentes pour enrichir les échanges et aider à prise de recul et intégrer de nouvelles perspectives. Ils organisent entre eux des séances d’échange entre les sessions pour réaliser des exercices ensemble et se coacher ce qui favorise l’exercice d’analyse et de prise de recul.
70 % d'activités de mise en pratique : Des exercices et missions à réaliser entre chaque session pour une application immédiate des compétences.
Le programme se déroule sur 8 semaines, avec délai de 10 jours entre chaque session pour donner du temps à la mise en application et les exercices, et avec une évaluation à la fin pour mesurer les compétences acquises. Les retours des participants soulignent l'importance du mixage des activités et la richesse des échanges entre collègues de métiers différents.
Chez Thomas Baron, le programme se déroule sur environ deux ans et demi entre le kick-off et son déploiement opérationnel. Les étapes clés incluent :
Diagnostic des Besoins (T0)
Création d’une visite commerciale « signature » : Elle vise à garantir une lecture homogène des compétences commerciales et proposer aux clients un cadre de dialogue cohérent. Cette visite signature servira également dans les onboarding futurs. A noter aussi qu’une partie de la problématique réside dans le fait qu’il y avait plusieurs divisions commerciales et donc également un enjeu d’harmoniser les pratiques pour développer une plus grande interopérabilité des personnels entre les divisions.
Co-création d’un référentiel de compétences « light » avec les métiers : Ce référentiel est centré uniquement sur ce qui est « observable et générant de la performance » en visite commerciale. Il a été réalisé suite a un travail d’immersion et d’observation du L&D sur le terrain.
Identification d’un ROI mesurable : Le dispositif AFEST doit démontrer un retour sur investissement clair pour que les directeurs des ventes valident l’initiative (rapport investissement temps formation vs performance commerciale). Ce processus d’identification a été mené avec l’équipe de performance commerciale, le L&D et les managers terrain.
Formation aux techniques de promotion : en parallèle, les enjeux à prioriser dans le développement de nouvelles compétences métiers pour le terrain ont été identifiés via la CSE, les équipes de ventes et un benchmark de la branche professionnelle.
Déploiement Pilote (T+3 mois à T+8 mois)
Module d’évaluation ergonomique : Création d’un module pour évaluer la visite « signature » par les managers terrain. Sous ses airs anodins, ce point a été clé dans l’adhésion au projet par les managers terrain. Le simple fait de disposer d’un outil de reporting ergonomique et facile à remplir a permis de « montrer » quelque chose de concret très rapidement.
Calibration des verbatims d’observation : Calibration de chaque verbatim d’observation afin de s’assurer de la mise à disposition d’un véritable modèle observable, mais aussi exécutable et produisant les résultats attendus. Cette calibration a été collectée (le fameux module d’évaluation) par l’ensemble des managers durant la phase pilote.
Tableau de bord de pilotage : Modélisation d’un tableau de bord (bubble map : axes observation/performance commerciale/taux d’accompagnement) pour stimuler les managers terrain et les directeurs des ventes et valider l’impact de la visite signature sur la performance commerciale.
Double formation pour les managers : Mise en place d’une double formation « développer les compétences d’un collaborateur x piloter la performance individuelle » pour les managers terrain.
Processus d’Identification des Savoir-Faire et des sachants (T+8mois à T+14mois)
Identification des gaps de compétences : À l’issue de la phase pilote (6 mois), les gaps de compétences et les forces de chaque commercial sur le terrain ont été identifiés.
Formation précise des managers : A l’issue de la phase pilote, certains managers n’étaient pas en mesure d’observer certaines compétences. Il s'est donc agi de les former plus précisément sur ces compétences.
Modules vidéo contextualisés : Scriptage fin de la mise en œuvre de chaque compétence des commerciaux pour créer des modules vidéo réalistes de la visite « signature » utilisés notamment pour les onboarding, pour le coaching et pour former à l’observation précise des compétences nos managers terrain.
Identification des « super sachants » : Enfin, un petit pool de « super sachants » a été identifié, qui étaient en pointe sur certains sujets et démontraient une maturité suffisante pour déployer le programme d’AFEST.
Mise en Place de l’AFEST (T+15mois)
Sélection du pool de commerciaux AFEST : Évaluation des candidats selon plusieurs critères (volontarisme, organisation personnelle, constance des résultats sur 2 ans, validation des compétences par les managers terrain, situation géographique).
Changement de classification : Valorisation de l’engagement des commerciaux AFEST par l’accès à une nouvelle classification (en plus d’une valorisation financière sous forme de primes).
Formation au transfert de compétences : Formation de ce pool au transfert de « compétences techniques » et au co-développement. Ici l’exercice à consister à travailler la bonne posture (ni au-dessus, ni à coté, mais avec)
Déploiement de méthodologies codifiées : début du scriptage et de la mise en place de méthodologies réplicables auprès des pairs dans d’autres domaine que la visite « signature ». On parlera de « compétences signature »
Évaluation continue par les managers terrain : Les managers terrain continuent d’évaluer les compétences de leurs équipes et valident l’impact du dispositif pour garantir sa neutralité. Ce sont eux aussi qui proposent à leurs équipes la possibilité de bénéficier d’une formation AFEST par un pair. C’est le commercial qui choisit ou non d’activer le dispositif.
Mission temporaire : Les commerciaux AFEST peuvent repostuler tous les 12 mois pour cette mission. Une nouvelle « compétence signature » leur est ajoutée tous les 4 mois environ pour les équiper progressivement sur les sujets stratégiques de l’entreprise. (Sur un cycle ils maitrisent donc la « visite signature » et 3 « compétences signature »)
L’avis d’Henri Occre de C-Campus : Pas d’AFEST sans réflexivité. Faire ne suffit pas à apprendre. C’est bien la réflexion de l’apprenant sur ce qu’il a fait, fait et va faire, qui produit la « compétence réfléchie », gage du « transfert ». La réflexivité prend de multiples formes : individuelle, accompagnée, entre pairs, etc. Les managers développeurs de compétences auront aussi à maîtriser les techniques réflexives
Q3 : Quelles sont les bonnes pratiques pour réussir la mise en place de l'AFEST ?
Prendre le temps qu'il faut :
Le succès de l'AFEST repose sur une préparation minutieuse et un déploiement progressif. Thomas Baron a pris plusieurs mois pour observer le travail quotidien des collaborateurs, diagnostiquer les besoins et identifier les compétences clés à développer avant de passer à l'étape suivante. Il a souligné l'importance de la phase de diagnostic et d'immersion pour comprendre les besoins réels sur le terrain.
Ne précipitez pas les phases de diagnostic et de co-création et assurez-vous que toutes les parties prenantes comprennent et adhèrent au processus.
Observation du travail :
Les deux projets mettent l'accent sur l'observation directe des compétences sur le terrain. Cela permet d'adapter précisément les formations aux besoins réels des collaborateurs.
Impliquez les managers dans l'observation des compétences sur le terrain, et utilisez des outils d’évaluation ergonomiques pour faciliter le suivi.
Impliquer les managers :
L'implication des managers est cruciale. Ils jouent un rôle clé dans l'évaluation et le suivi des compétences. Agnès Letorey a insisté sur l'importance des débriefings réguliers entre les collaborateurs et leurs managers pour assurer un suivi efficace.
Formez les managers à l'observation des compétences et au pilotage de la performance. Dans les deux cas, les managers ont été formés pour assurer une observation précise et une évaluation continue.
Rendre l'opération scalable :
Les méthodologies doivent être réplicables pour être déployées à grande échelle. Agnès Letorey précise qu’ils ont opté pour des modules virtuels et du coaching entre pairs, tandis que Thomas Baron a mis en place des méthodologies codifiées et des évaluations régulières.
Déployez d'abord un pilote, puis ajustez et étendez le programme progressivement.
Créez des méthodologies et des outils de formation codifiés qui peuvent être facilement reproduits dans d'autres contextes, ainsi que des référentiels de compétences clairs..
Identifiez et formez des « super sachants » capables de déployer le programme à plus grande échelle.
L’avis d’Henri Occre de C-Campus : l’AFEST à grande échelle prend du temps. À une échelle plus modeste, la démarche peut être accélérée : 1) en partant de référentiels de situations apprenantes conçus par des ingénieurs de formation du domaine. 2) En mobilisant des référents AFEST pour accompagner pédagogiquement les tuteurs. C’est par ex. ce que nous avons fait avec l’AFPA pour des entreprises prêtes à recruter et former des demandeurs d’emploi (marché AFEST France Travail) : des centaines d’AFEST déployées dans un temps contraint, pour des métiers en tension !
Q4 : Comment mesurer l'efficacité d'un programme AFEST ?
Évaluation continue : Utilisez des outils d'évaluation ergonomiques et des tableaux de bord pour suivre les performances et les compétences des collaborateurs de manière continue.
Feedback des participants : Recueillez régulièrement les retours des participants pour ajuster et améliorer le programme. Agnès Letorey a noté que les évaluations des participants mettent en lumière les bénéfices du mixage théorie/pratique et des échanges inter-fonctionnels.
Suivi des résultats : Mesurez l'impact sur les performances commerciales et l'efficacité sociale, comme l'a fait Thomas Baron, pour démontrer le retour sur investissement du dispositif.
Conclusion
La mise en place de l'AFEST demande une préparation minutieuse et une implication active des managers. En prenant le temps nécessaire, en observant le travail sur le terrain, en impliquant les managers et en rendant le programme scalable, vous pouvez créer un dispositif de formation efficace et durable. Les expériences d'Agnès Letorey et de Thomas Baron montrent que cette approche est non seulement réalisable, mais qu'elle peut aussi transformer significativement les compétences et la performance de vos équipes.
Le modèle 70-20-10 a été formalisé vers le milieu des années 1990 par Michael M. Lombardo and Robert W. Eichinger. Ils sont arrivés à la conclusion que les managers qui réussissent, attribuent l’acquisition de leurs compétences à 70 % à des missions difficiles et des challenges professionnels, 20 % à leur entourage professionnel, 10 % à la formation traditionnelle.