Et si la formation par les pairs était la grande révolution attendue par les organisations ?
Cet article a été écrit par Yannig Raffenel, directeur éditorial et pédagogique et publié dans le MagRH #4, le nouveau média RH, devenu en un an le premier média RH, tirant pour le N°4 à 100 000 exemplaires.
Et si la formation par les pairs était la grande révolution attendue dans les organisations ?
Inutile désormais d’y revenir, l’évidence est là : nous sommes en train de vivre un temps de grands changements, sociétaux, climatiques, organisationnels… et dans le champ de la formation, il en est de même.
Le Knowledge Management était un précurseur
RH, professionnels de la formation, nous connaissons tous les limites du E-Learning subies par les apprenants qui en ont fait l’expérience : principalement le sentiment fort d’abandon des stagiaires en ligne, isolés, livrés à eux-mêmes. Au début des années 2000, nous avons assisté à l’émergence du Knowledge Management, instrumentant l’importance des échanges entre collaborateurs. Le temps du Social Learning était arrivé. Basé sur l’adage : “Ceux qui font savent !”, le KM ouvrait le chemin pour offrir la possibilité aux organisations de partager le savoir et les domaines d’expertises entre collègues.
Pourtant, ce qui devait être une révolution va alors s’éclipser : les contraintes liées aux dispositifs de KM sont trop grandes : indexation, référencement des savoirs, utilisation de plateformes complexes et onéreuses… bientôt le KM sera oublié. En effet, GOOGLE et son indexation automatique vont prendre le dessus : plus besoin d’entrer dans une démarche volontaire d’indexation et de partage. Il suffit de saisir, de produire des documents, de publier pour que les algorithmes de Google se chargent de classer, indexer, retrouver les savoirs à la demande. Le partage de connaissance se fait donc de manière implicite via les réseaux sociaux, internes ou externes.
Quand le social learning devient une évidence !
Ainsi à la fin des années 2000, émerge la notion de social learning, en remplacement du KM. C’est le début d’une tendance lourde qui se poursuit encore aujourd’hui. Car, en effet, l’homme est un être social, qui existe et apprend par et avec les autres.
Hormi quelques individus dotés d’une capacité à apprendre seuls, l’autodidaxie, environ 93 % des apprenants ont besoin des autres, pour pouvoir apprendre. Toutes les études sur les taux de complétion et d’attrition des MOOCs valident ces chiffres. Sous cette terminologie, nous allons donc retrouver toutes les actions qui favorisent les échanges entre apprenants, quelles qu’en soit la forme, l’animation des communautés et les activités proposées permettant un développement des connaissances dans un groupe social.
A quoi sert donc le Social Learning ?
Dans les dispositifs de formation, cette arrivée massive du social learning va se traduire concrètement sous deux axes : la communication, via l’animation des communautés et les échanges sur les forums, et la correction entre pairs.
Regardons de près ces deux mécaniques bien différentes.
Tout d’abord, l’appartenance des apprenants à une communauté est un moteur de motivation essentiel pour assurer leur engagement durant tout un cursus de formation. Depuis l’abandon du préceptorat, en effet, toutes les étapes de formation et d’enseignement se vivent en collectivité. L’expert, le sachant qui transmet son savoir, agit en interaction avec son public. En fonction des modalités du dispositif, les apprenants sont plus ou moins passifs. Même dans le cadre historique traditionnellement académique, les étudiants placés en amphithéâtre n’ont aucun moyen d’intervenir sur le déroulé d’un cours. Par contre, après un cours, nombreux sont les étudiants qui échangent leurs prises de notes, confrontent leur compréhension et ainsi consolident leur maîtrise des contenus. Les rituels de la vie étudiante facilitent l’engagement de ceux-ci, dans leurs apprentissages. Tous les signes d’appartenance au groupe ou le poids des conventions sociales, telles qu’être présent au cours, bien se tenir et écouter, avoir le plaisir de prendre un café à la pause avec ses amis, se donner rendez-vous après le cours, même pour pratiquer une activité toute autre, (aller manger ou faire du sport), tous jouent leur rôle pour aider les étudiants à apprendre.
Il en est de même lorsque nous construisons un dispositif en digital learning, toutes les modalités de communication et d’animation de la communauté vont prendre une importance réelle pour pallier aux maux de l’isolement induits par l’éloignement physique des apprenants. Ainsi il nous faut créer des rôles d’animateurs de communauté, en charge d’accueillir les stagiaires en ligne, de les questionner, de faciliter leurs échanges… L’impact de leurs actions est immédiatement mesurable sur le taux d’engagement et de complétion des parcours de formation.
La seconde forme de social learning qui marque l’avènement des MOOCs est l’introduction sur les plateformes de formation de la correction par les pairs.
L’expérience apprenante proposée révolutionne les dispositifs. En efet, en exigeant des stagiaires de corriger eux-aussi un certain nombre de productions de leurs collègues s’ils veulent recevoir la correction de leurs propres activités, cela provoque chez eux un changement total de posture. L’apprenant change de casquette, et passe du rôle passif de consommateur du contenu de formation, au rôle actif de correcteur, chargé d’une mission, d’une responsabilité qui l’implique. Bien entendu des algorithmes et des fonctionnalités ont été implémentées pour vérifer la bonne foi du correcteur, le guider dans son travail. Les retours sont excellents ! “J’apprends plus encore en corrigeant qu’en ayant fait l’exercice !” tel est le témoignage très souvent entendu. Il est vrai qu’à y regarder de plus près, cette approche n’est pas vraiment nouvelle : Célestin Freinet l’avait déjà mise au coeur de sa pédagogie nouvelle dans la méthode Freinet en … 1925.
Une révolution se prépare : l’apprentissage par les pairs.
Désormais c’est une troisième dimension de Social Learning qui se développe. Et il y a fort à parier que son impact sur les organisations et dispositifs de formation soit extrêmement important. Il ne s’agit pas d’une nouvelle modalité pédagogique de transmission des connaissances ou d’appropriation de celles-ci. C’est l’organisation même du dispositif de formation qui est impacté. On casse le modèle de la formation qui a habituellement pour source du savoir, l’expert. Celui-ci est souvent extérieur à l’entreprise, et il doit partager son expertise à destination des collaborateurs.
L’apprentissage par les pairs va bouleverser le rôle des acteurs de l’entreprise, car les collaborateurs vont passer de “consommateurs de formations” au rôle de “producteurs de compétences”.
Les 4 raisons pour lesquelles l’apprentissage par les pairs représente l’avenir de la formation.
Cette démarche est pourtant connue et présente dans le monde de l’entreprise depuis bien longtemps. Depuis toujours, les ouvriers experts, souvent âgés car expérimentés, ont transmis leur savoir-faire auprès des jeunes recrutés. C’est ainsi que le compagnonnage s’est développé avec le succès qui accompagne, par exemple, les Compagnons du tour de France.
Aujourd’hui, de très nombreux facteurs sociétaux que nous allons lister vont accélérer ce phénomène de transmission des compétences en dehors des cadres traditionnels descendants.
La nécessité de se former tout au long de sa vie est connue désormais de tous.
La gestion de ses compétences avec lesquelles on obtient un emploi a été totalement bouleversée. Il y a peu, ses compétences techniques construites et acquises par de l’expérience duraient jusqu’à 30 ans. Elles construisaient donc un stock à gérer, à valoriser dans la durée. Voilà pourquoi la question de l’orientation était aussi importante, on choisissait un métier pour la vie et celui-ci évoluait doucement…
A présent, la grande majorité des compétences sont un flux, elles durent au maximum 5 ans et il s‘agit pour tout un chacun de veiller à alimenter ce flux en les renouvelant de manière permanente. Etre capable de maintenir à jour son portefeuille de compétences est donc devenu une qualité primordiale. Nous sommes donc passés d’une vision qui émergeait dans les années 90 où l’on parlait de “formation tout au long de sa vie”, à un nouveau paradigme que l’on résume en un “Soyez acteur de votre formation, de votre employabilité”.
Seconde raison, la réforme actuelle de la formation professionnelle et des modes de financements qui impacte aussi la vie des entreprises.
Il est fini le temps de la consommation de la formation, sur la base des catalogues offerts par les centres de formation au bon vouloir des responsables de formations. Avant, on offrait une formation pour récompenser les mérites d’un salarié. Qui se souciait vraiment de l’impact sur la montée en compétences que cela allait provoquer sur l’heureux bénéfciaire ? Maintenant que l’entreprise gère ses fonds formation en direct, ce sont les métiers qui deviennent les commanditaires des actions de formation. Tous les facteurs qui permettent de calculer un retour sur investissement deviennent déterminants. Donc, réussir à construire un dispositif de formation en économisant l’achat inconsidéré de temps de formation à un prestataire devient déterminant ! Imaginons que l’on puisse mobiliser un immense réservoir de compétences, détenues en interne, répertoriées, et partagées, en voilà une belle idée !
Troisième raison : les transformations dans les organisations et dans le management qui évolue lui aussi, au regard des attentes et des besoins des collaborateurs.
Aujourd’hui, manager à l’ère digitale implique de reconnaître la singularité des membres de ses équipes. Or la démarche d’apprentissage par les pairs permet de révéler les personnes clés qui se manifestent pour devenir référentes. Pour instaurer un management par la confiance et développer l’engagement de ses collaborateurs, rien de tel pour le manager que de commencer à s’intéresser à chacun d’entre eux, de les considérer, donc de valoriser tous les talents qu’il identifie. Le moteur de la reconnaissance est un levier important pour permettre aux membres d’une équipe de se sentir reconnus et appréciés. Imaginons que le manager identifie chez un salarié des compétences et lui délègue une part de responsabilité en lui confiant la responsabilité de former ses collègues ! Il y a alors reconnaissance et valorisation du collaborateur, non seulement par le manager, mais aussi par ses pairs.
Enfin, en prenant part à un tel mouvement de coopération dans une organisation apprenante, les collaborateurs deviennent producteurs des savoirs, des documents capitalisant nombre d’expertises de l’entreprise. Pour construire ce type de dispositif, les groupes d’apprentissage sont généralement organisés en mélangeant des collaborateurs en provenance de services variés. Ainsi, on peut développer les compétences transversales clefs qui sont essentielles pour maintenir l’employabilité des collaborateurs dans la tourmente de la transformation digitale. Car en apprenant avec et par les autres, les salariés vont développer par la pratique : créativité, esprit critique, collaboration, et communication. Autant de “softskills” indispensables pour les emplois de demain, qui sont mobilisées et stimulées par ces exercices pratiques d’intelligence collective.
Nous tous avons aujourd’hui, la possibilité d’expérimenter la mise en place de tels dispositifs dans les entreprises.
Pour nous aider dans ces déploiements ou expérimentation, une startup WAP “We Are Peers” a formalisé la méthodologie d’apprentissage par les pairs et propose une plateforme simple d’emploi. On peut ainsi faire vivre cette expérience à des groupes allant de 12 à 1200 individus. A nous, responsables RH, responsables formation, ou acteurs de la transformation des entreprises, de nous lancer en mode test and learn. Il nous restera alors à mutualiser nos feedbacks, afin que nous aussi, nous apprenions plus vite à travailler autrement.